Accueil » Blog » Rêve de Dragon

Rêve de Dragon

par Trollinet

« Rêve de dragon ». Un nom qui fera rêver les vieux rôlistes, mais laissera peut-être perplexe les plus jeunes. Car derrière ce titre se cache un jeu de rôle sans équivalent, une merveille d’écriture de Denis Gerfaud, qui, en 1985, a réussi à faire du neuf qui reste encore neuf en 2015, le tout avec du médiéval-fantastique. Vous l’avez compris, ce jeu est grandiose, je suis fan, et cette présentation est tout sauf objective. C’est dit.

Une couverture objectivement magnifique

Une couverture objectivement magnifique

1. Attention mite !

Heeeu, mythe, pardon.

Et si notre monde n’était qu’un immense rêve de dragons ? Et si tout ce que nous connaissions, les forêts comme les océans, le moindre caillou comme les plus grandes cités, la naissance comme la mort, les amis comme les ennemis, le simple paysan comme le guerrier le plus émérite, si tout cela n’était que le fruit des rêves de créatures mythiques et que nous ne soyons nous-mêmes que le fruit de leurs rêves ? Telle est la ligne directrice de ce jeu de rôle pas tout à fait comme les autres : Il existerait, quelque part, dans un univers à part, inaccessible, des dragons qui rêveraient ensemble de notre monde, des objets et des êtres vivants qui le peuplent. Alors pour le personnage, tout ceci semble loin et personne n’a vraiment l’impression de vivre dans un rêve : les gens vivent, souffrent, mangent, dorment, se battent et évoluent dans leur monde, de la même manière que nous, quand nous rêvons la nuit, nous avons, nous aussi, l’impression que ce qui nous arrive est tout autant réel. Et si la mort de notre personnage n’était en fait que le moment où le dragon qui l’a rêvé s’est réveillé ?

Nitouche, l’héroïne qui nous tient compagnie tout au long de la lecture du livre. Et je peux vous dire qu’elle est sacrément bonne. La lecture, bien sûr.

Nitouche, l’héroïne qui nous tient compagnie tout au long de la lecture du livre. Et je peux vous dire qu’elle est sacrément bonne. La lecture, bien sûr.

 

Il est facile en 2015 d’y voir une analogie à la Matrix, mais pour un jeu sorti en 1985, l’idée semblait farfelue, et surtout, pourrait-on dire : Qu’est-ce que cela apporte au jeu si, finalement, ce bas monde est si réel ? Qu’est-ce que cela apporte de neuf dans un monde médiéval fantastique classique ? Et bien, justement, cela change tout.

2. L’oniro-fantaisie

Alors ici, on est chez Gerfaud, pas à D&D. Les dragons, on ne les voit jamais, on ne sait même pas s’ils existent vraiment et de toute façon, ils ne sont pas des créatures physiques à proprement parlé, mais plutôt des espèces de divinités lointaines.

Partant de ce postulat, Denis Gerfaud a construit un univers qui, dans un humour omniprésent, garde une cohérence d’ensemble. Le monde fut donc crée par des dragons, mais, par 2 occasions déjà, ces dragons, effrayés par la puissance de la magie que les hommes se sont mis à maitriser, se sont réveillés en masse et cela a engendré des cataclysmes dans le monde entier.

Aujourd’hui, les dragons se sont rendormis et le monde a repris sa vie, mais les stigmates des cataclysmes sont encore visibles, et la plupart des splendides cités d’antan ne sont aujourd’hui que l’ombre d’elles-mêmes.

Le fait que ce monde soit le fruit d’un rêve de dragon se manifeste très régulièrement. Il est ainsi possible de passer d’un rêve (= un « monde ») à un autre au moyen de déchirures du rêve, qui apparaissent capricieusement, bien sûr. De même, la période entre deux aventures correspond au gris-rêve, une espèce d’état mi- éveillé où le héros vit au quotidien son voyage machinalement (idéal pour introduire des scénarios sans se casser la tête sur le pourquoi du comment nos héros sont ensemble).

Egalement, la mort d’un personnage ne correspond finalement qu’à un simple réveil de son dragon et, quand celui-ci se rendormira, il rêvera à nouveau du personnage, comme il en a déjà rêvé des dizaines de fois. Et chacune de ces « incarnations » prendra vie autour d’un même terreau de départ, nommé l’archétype. Il est donc possible de croiser la nouvelle « incarnation » de quelqu’un que l’on aurait déjà connu avant, sans que celui-ci se souvienne de vous car pour lui, il s’agit d’une nouvelle vie à part entière.

L’autre grande force de ce jeu, ce sont ses scénarios. Les joueurs jouant des voyageurs, la plupart des histoires commencent au moment où l’on arrive dans une grande ville ou dans un village, et souvent, ces lieux présentent des coutumes étranges, une ancienne malédiction, un monstre qui rôde dans les alentours, un personnage fantasque, un bug dans la matrice, quoi. Bref, comme les joueurs voyagent, on ne s’ancre pas sur du sur place, et cela permet de renouveler les ambiances à chaque fois. Les scénarios sont donc, vous l’aurez compris, le plus souvent des one-shot.

« Hé, le Groin, t’as une tache, là. Pistache ! »

« Hé, le Groin, t’as une tache, là. Pistache ! »

Et puis la tonalité des scénarios, toujours teintées d’humour, où l’on cherche plus à résoudre des problèmes qu’à occire des monstres pour une prime. Les personnages sont des voyageurs et c’est souvent plus la curiosité ou l’impression d’être confronté à une bizarrerie des dragons qui va les attirer que l’appât du gain. S’agit-il d’aider un cuisinier à trouver les derniers ingrédients rares de sa recette, ou bien de décrypter le sens caché des paroles d’une vieille chanson, à moins qu’il ne faille convaincre des groins (= d’énormes hommes-cochons aussi forts que bêtes, l’équivalent des orcs dans d’autres univers) de rejoindre une troupe de théâtre ? Sans compter que le mélange entre le rêve et la réalité peut aboutir à ce que les personnages soient poussés par les rêves de leurs anciennes vies, qui peuvent les conduire à reproduire des situations cocasses.

3. Voyage, voyage, ce désir laisse les héros loin de chez eux.

(Si tu as compris le jeu de mots caché dans ce titre à la première lecture, tu as tout à fait les compétences requises pour devenir MJ à Rêve de dragon. Accessoirement, cela doit aussi signifier que tu dois avoir environ la quarantaine, désolé…)

Au milieu de ce monde situé grosso-modo dans une fin de moyen-âge oniro-fantastique est apparue une tradition : le voyage. Vers 14-15 ans, chacun doit à un moment quitter son village et accomplir un périple. Ho, pour la plupart, il s’agit juste d’aller découvrir ce qui se cache derrière la colline que l’on voit depuis le village, puis de revenir, et ce périple sera déjà fort suffisant pour alimenter les discussions au coin de la cheminée pendant de nombreuses soirées. Mais pour certains, la curiosité les aura poussés jusqu’à la colline d’après, puis au bois suivant, puis à cette grande montagne que l’on voit à l’est, puis vers cet obscur marais et ainsi de suite, jusqu’à ne plus jamais revenir à son village.

Là où on va, on n’a pas besoin . . . . de route.

Là où on va, on n’a pas besoin . . . . de route.

Ceux-ci deviennent ainsi des voyageurs et leur arrivée dans les différents villages qu’ils traversent est toujours un évènement, car ils seront à coup sûr l’attraction du jour par le récit de leur périple (de bons moments de role-play, généralement). Et la tradition du voyage veut d’ailleurs qu’ils soient toujours accueillis avec les meilleures attentions où qu’ils passent (chambre d’auberge offerte, avec demi-pension, accès à Canal + et Bein Sport inclus)

Vous l’aurez compris, nos héros seront donc quelques-uns de ces voyageurs, ces personnages hauts en couleurs qui se seront rencontrés au hasard des chemins et qui feront un bout de route ensemble.

4. Et la technique, alors ?

Là, on a affaire à du solide. Les héros n’ont pas de classe (je vous l’ai dit, on n’est pas à D&D, ici), mais la feuille est suffisamment complète pour orienter son personnage vers ses préférences : un baladin jouant de luth ? Un costaud portant une armure ? Un artisan itinérant ? Un vil gredin peu recommandable ? Un rôdeur se mouvant dans tous les types de milieu ? Un chevalier jedi basculant du côté obscur ? (Non, non, c’était juste pour voir si vous suivez…) Ou bien un touche-à-tout se frottant à plusieurs de ces spécialités ? La liberté est totale et modulable à l’infini, puisqu’il n’y a justement pas de classe pour enfermer les choix (à part celui de devenir haut-rêvant, c’est-à-dire magicien, nous y reviendrons plus tard). 14 caractéristiques, comprenant du très classique (Force, Agilité, Volonté…), du plus original avec « Odorat-goût », mais aussi une caractéristique « Rêve » à ne pas négliger, et enfin quelques dizaines de compétences. La création se fait par un système d’achat de caractéristique et de compétences, sans hasard, ce qui permet de contrôler complétement ce qu’on veut en faire.

La 1ère page de la feuille de personnage. (cliquez pour agrandir).

La 1ère page de la feuille de personnage. (cliquez pour agrandir).

Les jets de compétence se résolvent au moyen d’un tableau universel où l’on croise la caractéristique et la compétence, avec des colonnes en plus ou en moins selon la difficulté de l’action. La case donne un pourcentage et l’action se résout au D100, avec des systèmes de réussite et d’échec critique.

L’un de mes points préférés en termes de technique, ce sont les combats, simples et efficaces : En effet, chacun, au moment de frapper, choisit sa difficulté en s’infligeant lui-même le nombre de colonnes de malus qu’il souhaite, et l’adversaire devra alors se défendre avec le même malus. Intéressant car cela introduit une petite dimension stratégique de prise de risque (Vaut-il mieux assurer un coup qui sera facile à défendre, ou bien tenter un coup difficile pour limiter les chances de l’adversaire de le parer ?)

5. Y’a un peu de magie en rab’ dans votre monde, je vous le laisse ?

Et pas qu’un peu ! Et là, attention, on a tout simplement le meilleur système de magie du monde, voire de l’univers ! Oui, tout simplement. (Je vous ai dit que j’étais fan ?)6

Forcément dans un monde qui est censé être le fruit d’un rêve de dragons, on se douterait presque que la magie s’achète par paquets de 10 kilos chez la crémière du coin. Pas tout à fait, en fait. La magie est bien omniprésente pour d’intrépides aventuriers en quête d’épique (épique et collégram), mais elle reste plutôt un objet de crainte que l’on garde à distance pour le commun des mortels, si ce n’est pas l’omniprésence du mythe des dragons.

Mais bien évidemment, il y a toujours des petits malins pour essayer de dompter le rêve. Leur technique est facile à comprendre : il s’agit de détacher son esprit de cette Basse-terre où réside notre corps terrestre pour se rapprocher des Hautes-terres où vivent les dragons. Et en se rapprochant, on atterrit donc dans les Terres médianes du Rêve. Une façon, en quelque sorte, d’aller chuchoter à l’oreille des dragons l’effet magique que l’on souhaite, et la raison pour laquelle les magiciens sont appelés des Hauts-rêvants.

Et là où çà déchire tout, c’est que justement, ces Terres médianes du Rêve sont représentées par une carte divisées en petites cases représentant des plaines, des marais, des collines etc, symbolisant les étapes du cheminement mental du Haut-rêvant. Pour lancer un sort, il faut envoyer son esprit dans les Terres médianes et donc atterrir sur cette carte. De là, il va falloir s’y déplacer de manière à arriver jusqu’à la case demandée. (Par exemple, pour le sort que je veux, je dois aller sur une case de Plaine). Si tout s’est bien passé, on arrive sur sa case, on lance son sort, il part, et l’esprit du haut-rêvant redescend dans son corps. Le tout aura pris généralement un round. Bien évidemment, le trajet sur cette carte n’est pas sans risque et chaque case que l’on traverse est un danger potentiel (plus ou moins grand selon le chemin que l’on choisit), qui représente les errements que le Haut-rêvant aura connus, et il arrive parfois que ce dernier ressorte de son périple avec le cerveau un peu en vrac et quelques tares, souvent temporaires, parfois graves, mais généralement assez drôles (genre le désir urgent et incontrôlable d’entendre braire un âne. Oui, là, tout de suite !)

La fameuse carte des Terres médianes, inclus dans le pack premium Haut-rêvant.

La fameuse carte des Terres médianes, inclus dans le pack premium Haut-rêvant.

Pour le coup, jouer un haut-rêvant à Rêve de dragon est une expérience grisante, car on se retrouve à vraiment vivre ses lancers de sort, ses récupérations de points de rêve, ses méditations ainsi que toutes les déviances et autres tocs qui y sont inhérents. Cela demande d’ailleurs un peu d’investissement de la part du joueur pour maitriser les bases des règles afin de faciliter la vie du MJ et que cela n’empiète pas trop sur le rythme de la partie.

L’autre aspect intéressant de ces hauts-rêvants est qu’ils sont honnis de la plupart des gens. Ils sont en effet ceux par qui le cataclysme de la fin du deuxième âge est arrivé, et chacun voit en eux des oiseaux de mauvais augure, responsables des mauvaises récoltes, des orages de grêle, des vaches qui ne produisent plus de lait, ou de la vis qu’il manque dans le dernier meuble Ikéa que l’on vient d’acheter. Certaines cités sont d’ailleurs réputées pour préparer un fameux pâté de haut-rêvant, servi sur toast avec ses olives (accompagné d’un petit Château Dragon grand cru, un régal parait-il). Vous comprendrez donc que ceux-ci pratiquent souvent leur art avec discrétion, ajoutant un peu de piment dans le role-play de vos joueurs.

Le rêve connait aussi son côté obscur, sa face sombre avec Thanatos, la voie des nécromants qui sombrent dans le cauchemar et contribuent au réveil des dragons. Quand on voit les horreurs dont ils sont capables (zombies, malédiction..), il ne faut pas s’étonner que l’ensemble des hauts-rêvants soient, pour la plupart, confondus avec ses sinistres sires et souffrent ainsi d’une réputation désastreuse.

Le Dark, j’adore.

Le Dark, j’adore.

6. Et çà se trouve où ?

Le jeu a connu une 1ère édition en 1985 (pu****, 30 ans !), puis une 2ème une dizaine d’années plus tard, celle à laquelle je fais jouer. Il a connu un très bon suivi avec de nombreux scénarios de Gerfaud lui-même dans les anciens Casus Belli (généralement excellents, vous pouvez foncer dès que vous voyez son nom), sans compter tout un tas de fanzines dédiés, ainsi que plusieurs « campagnes » pour la 1ère ou 2ème édition que l’on pouvait trouver dans toutes les bonnes crèmeries à l’époque. Je reste modéré sur le mot campagne car ce sont plutôt des grosses aventures qui occuperont 4 ou 5 parties maximum, on est loin des campagnes monstrueuses à la Vampire ou Chtulu qui peuvent durer plusieurs années. Alors évidemment, il est très compliqué de dénicher actuellement le moindre de ses ouvrages.9

Mais la bonne nouvelle, c’est que Denis Gerfaud a donné son accord pour que tous ces ouvrages soient publiés en PDF chez nos confrères du forum Rêve d’ailleurs. Une vraie mine, de quoi s’occuper pendant des années. A titre personnel, je vous conseille les scénarios suivants (résumés bios, garantis sans trace de spoils) :

– Un parfum d’Oniroses : Les voyageurs partiront à la poursuite d’un botaniste et d’un…. parfum.

– L’élixir du haut-rêve : Gerfaud nous pond un haut-rêvant à qui il est arrivé une drôle d’aventure, et bien sûr, les voyageurs se retrouvent embarqués avec lui. Un très bon souvenir de fin de campagne.

– La ballade d’Harpiscore : Une longue quête avec une étrange chanson en trame de fond.

L’autre bonne nouvelle est qu’une réédition des règles de la 2ème version serait prévue en 2015, et que, parallèlement, une nouvelle campagne a vu le jour sur le site participatif Ulule, campagne qui a dépassé les 450 % du montant demandé. Bïoutifoule, non ?

Bref, loin des jeux dopés à la testostérone où les xp grouillent par milliers, Rêve de dragon vous emmènera dans des contrées imaginaires où règnent la poésie, la folie, l’humour et le rêve. Une expérience exceptionnelle à vivre au moins une fois dans toute bonne carrière de rôliste.

You may also like

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter