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Un moment avec Vincent Dutrait partie 2

par Dupond

Si vous êtes ici, c’est que vous avez déjà vu la partie 1 de l’interview de Vincent Dutrait. Et sinon, eh bien, foncez la lire, on y apprend plein de choses extrêmement intéressantes sur le monde du jeu et de l’illustration (ici). Je rappelle que cette interview est une retranscription de l’entretien visio que nous avons eu avec Vincent Dutrait, d’où le ton un peu décalé de l’article et les différentes formulations ;). La suite dès maintenant !

 

Team Gameovert (TGO) : Par rapport à ton retour sur la technique j’avais 2 questions, la première par rapport à ton matériel, tu es toujours sur du crayon, la peinture… pas de numérique ?

Vincent Dutrait (VD) : Si je fais un petit flashback, il se trouve que quand le numérique est arrivé en force dans le milieu de l’illustration, les éditeurs ont pris le pli, ils ont vu qu’on pouvait modifier une illustration même après validation, que quelque part, faussement ça va plus vite donc à un moment je me suis dit il faut quand même rester compétitif, réactif, donc j’ai intégré le numérique, même si je ne dessine rien en numérique. Par exemple, au moment des crayonnés où je les fais en kit pour être hyper souple, c’est à dire que par exemple dans Photoshop j’ai mes calques avec mes différents crayonnés, j’ai mes personnages, mes décors… et puis si l’éditeur dit j’aimerais ça ici ou là c’est plus facile de modifier. Après je fais mes mises en couleur à la main et le numérique intervient à la fin pour les réglages des couleurs par rapport au fabriquant, à l’impression pour pouvoir livrer des illustrations qui soient clés en main, c’est-à-dire ce qu’il sort de chez moi est nickel (ça ne nécessite pas de retouche). Ce qu’il se passe aussi c’est que des fois quand les projets sont un peu pressés, ou je me dis que tient sur ce projet ça serait bien que je me concentre sur cette partie un peu moins sur celle-là, quand je travaille mon illustration à la main, je peux me dire « à ce moment-là je peux arrêter mon image et je pourrais booster les couleurs dans Photoshop » par exemple. J’ai des petites astuces comme ça. Donc le numérique intervient mais plus pour de l’étalonnage et de la post-production.

 

TGO : Du point de vue du matériel, tu utilises plutôt quoi, des peintures acryliques…

VD : Oui peinture acryliques, feutres, crayons, marque Copic°. En fait j’ai toujours utilisé des techniques mixtes, je mélange tout c’est-à-dire que je peins à l’acrylique mais je peux retoucher avec des feutres, rehausser des couleurs ou faire des détails, je redessine par-dessus avec des crayons je bricole pour arriver à ce que j’ai en tête.

 

TGO : Et du coup la deuxième question que je voulais te poser c’est si tu avais un point particulier de l’illustration sur laquelle tu mets un point d’honneur ?

VD : Alors moi je pense toujours qu’il faut qu’il y ait 3 choses et c’est ce qui parle le plus au gens, qui leur permettent de mieux identifier ou s’identifier. C’est un personnage/un élément central, une deuxième chose qui va venir le compléter puis enrichir l’univers autour et après la 3ème chose c’est un décor, un univers pour donner de la profondeur. Et après je fais la même chose au niveau des couleurs, je mets 2 teintes dominantes quasiment à égalité et après je mets une petite teinte qui vient faire basculer d’un côté ou de l’autre et qui vient déséquilibrer le truc. Je gère souvent les choses comme ça. Par exemple, je fais aussi du 3/4 -1/4, c’est-à-dire qu’il va y avoir 3/4 de l’illustration « pas très travaillée », et 1/4 de très travaillée ou l’inverse, en tout cas c’est toujours une histoire de déséquilibre.

 

TGO : Pour faire un focus sur telle ou telle partie. Du coup c’est en fonction du thème ?

VD : En fonction de ce qu’il faut raconter, de la narration, de ce qu’on veut partager.

 

TGO : Genre par exemple si on fait un jeu sur la nature comme avec Canopée, tu vas peut-être plus mettre le focus sur la nature autour que sur les oiseaux ou autre.

VD : Voilà, par exemple j’ai pas mis un singe ou autre au premier plan, parce qu’on va pas jouer un singe dans le jeu… là c’était vraiment la vision de la Nature, l’Amazonie, la canopée… Et je pense c’est ce qui fait aussi un peu marque de fabrique parce que les joueurs ne le voient pas (c’est derrière, c’est dans l’image) mais le ressenti y est, c’est cadré comme ça (il nous raconte cela par des couleurs…). Puis ça peut être aussi 3/4 – 1/4 de sombres et de lumière, de travaillé/pas travaillé…

 

TGO : Ben tu vois typiquement c’est le ressenti que j’ai eu sur l’île au trésor, par exemple parce que tu as le focus sur les personnages (parce qu’on joue des personnages) et après le décor il est là mais le détail est vraiment mis sur les personnages et comme c’est la base du jeu…

VD : Et puis j’essaye aussi que ce soit le plus rempli, j’ai envie que les joueurs en aient pour leur argent, c’est vraiment une demande de maintenant, les joueurs ont envie d’acheté un jeu qui sorte de l’ordinaire et puis quand ils prennent la boite dans la boutique, s’ils la retournent c’est quasiment 50% du chemin qui est fait. Si la couverture, tu l’as vu de loin et tu as envie de l’avoir dans les mains, de la retourner pour voir ce qui se passe dedans c’est déjà une victoire.

 

 

TGO : Tu es dans le milieu du jeu depuis un certain nombre d’année, du coup quel regard tu portes sur l’évolution du jeu, du milieu durant ces dernières années, l’ampleur que ça a pris… ?

VD : Il y a un point positif déjà c’est que ça prend une ampleur importante. Ça vient concurrencer, du jouet, du jeu vidéo, ce qui veut dire que le marché se porte bien. Ça veut dire aussi qu’il y aura du boulot à l’avenir, qu’il y a de la création, de la créativité. Il y a de plus en plus d’acteurs, c’est tant mieux, c’est win-win pour tout le monde. Après le truc, moi j’ai craqué en 2019, j’étais allé à Essen où c’était l’overdose, c’était trop. Avant j’arrivais à suivre (les sorties, les projets) mais ensuite j’étais largué. Alors c’est comme ça maintenant, mais surtout je voyais des jeux, on jouait à des trucs et je me disais mais c’est pas fini en fait, que ce soit le jeu, les illustrations. Un jeu c’est 6 mois à un an de boulot et même parfois c’est pas suffisant. Alors maintenant il y a une espèce de contraction du temps avec la fabrication, les éditeurs parlent plus de retro plannings que de planning, c’est pour ça que j’ai pris du recul par rapport à tout cela. Et puis ensuite il y a eu le COVID qui a balayé un peu tout ce mouvement ce qui m’a aussi permis de regarder tout cela de loin en me disant que si je veux jouer à des jeux autant que ce soit des jeux qui me plaisent, on est pas obligé de jouer à tout, de tout connaitre, de tout savoir. Et puis si c’est assez bon pour arriver jusqu’à moi c’est que le jeu est très bon donc voilà.

 

TGO : Est-ce que c’est un avantage ou un inconvénient d’habiter en Corée du Sud et de ne pas être un peu dans le Maelstrom de tout ce qui se passe en Europe ou autre ?

VD : C’est très bien (rire) !!  C’est génial mine de rien parce que j’ai des journées où je suis tranquille alors sauf quand je travaille avec les américains (des fois 15h de décalage horaire donc c’est une autre gymnastique), mais entre quand je me lève le matin pour m’occuper des enfants et la fin de la journée, je peux me consacrer à la création tout le temps nécessaire et je sais que quand les éditeurs français seront levés ( à part Bruno Cathala qui est levé très tôt (rire) ), à 10h heure française (soit 18h heure de Corée du Sud) on commence à avoir quelque mails. Donc la distance est plutôt bénéfique, en tout cas pour moi ^^. J’ai pas de pression, de charge. Et puis de toute façon j’ai un téléphone que j’utilise peu, si je fais du Skype ce n’est qu’à un certain moment de la journée. Je prends ça avec détachement, je réponds quand je réponds.

 

TGO : D’ailleurs est ce que la vie en Corée a influé sur ton style ou tu as essayé de garder ton côté Vieux-neuf ? Est-ce que tu as, si c’est le cas, intégré ces petites influences dans ton travail ?

VD : Alors je m’intéressais déjà pas mal à l’art en Asie, il se trouve que mon père était professeur de chinois, avait déjà traduit des livres et qu’on avait pas mal voyagé en Asie. Mais c’est quelque chose oui qui s’intègre naturellement, j’y réfléchis pas forcément, par exemple dans des décors assez zen, assez contemplatifs. Mais là où par exemple ça rejoint peut-être plus les 8h de décalage horaire, c’est que le fait d’être à distance et d’avoir accès par internet ça m’a fait changer ma manière de chercher de la documentation, où trouver des informations. J’ai déjà une grande bibliothèque de artbooks qui me nourrit déjà pas mal tout le temps mais ça m’a permis de faire les choses différemment que si j’étais resté en France.

 

TGO : Du coup tes sources d’inspirations en général ? Sur ton style ou la façon de voir ton travail…

VD :  Alors c’est plein de choses et au feeling. Quand je travaille sur un projet des fois j’ai l’impression de passer sans mentir 75% du temps en préparation, et 25% du temps en réalisation, parce que mine de rien l’exécution, le moment où je dessine je sais exactement où je vais, ce que je vais faire… D’ailleurs quand je dessine, j’aime bien mettre des documentaires ou des séries en même temps pour entendre autre chose, et je dessine parce que je sais où je vais, j’ai préparé à fond.

 

TGO : Et du coup ces recherches ?

VD : C’est des recherches sur le style et surtout sur l’approche, comment représenter les choses. Par exemple, dans Heat quand on a fait les cartes upgrade, advanced, on s’était demandé si on montrait des gars travailler dans leur garage. Mais il y avait trop de cartes, on allait étouffer, donc en fouillant dans de la documentation, en regardant des films et tout je m’étais dit tient il y a l’idée des plans sur papier bleu, je vais faire un blue print du châssis, de la voiture mais par contre l’élément amélioré en question je vais le mettre en couleur. C’est l’approche qui fait que la carte est intéressante, plutôt que d’avoir un seul objet et que ce soit chiant. Et puis ça m’a permis de m’amuser et d’inventer des trucs aussi puisqu’on est sur un fantasme de jeu de course. C’est l’approche qui m’intéresse le plus.

 

TGO : Tout à l’heure tu as parlé d’artbook, est ce que tu en aurais à conseiller à de jeunes illustrateurs ou autre ?

VD : Je vous enverrai une petite liste si vous voulez 😉 il y en a beaucoup mais il y a quelques trucs qui valent le coup pour ceux qui commencent, il y en a d’autres qui sont sur la manière de penser, sur l’ergonomie (Ici une série de lecture et de sites envoyés par Vincent Dutrait -> dessin pur , série de livres sur la réflexion autour du dessin , ouvrage référence…). Finalement quand tu fais des illustrations surtout pour le jeu, tu fais plus de la communication que de l’illustration, c’est là où on peut dépasser le cadre de l’illustration qui n’est que descriptive. Par exemple, des fois tu joues à des jeux puis au bout de 5min les joueurs ne parlent que de chiffres et de couleurs, par exemple ils disent je prends du rouge au lieu de dire des tomates… Ils verbalisent différemment donc tu te dis que y’a un truc qui a un peu ripé, peut être que c’était pas le bon thème, parce que c’est pas ce qu’on avait envie de faire avec telle ou telle ressources, ou c’est peut-être parce que l’illustration est pas assez immersive ou impose un truc, c’est délicat pour ça. Moi je m’intéresse plus, par exemple j’ai lu des livres sur la signalisation routière même si c’était assez chiant, parce qu’il faut mine de rien un langage universel qui te dit ne va pas là, ou si tu tournes à gauche tu vas avoir un truc. C’est comme les jeux où tu n’as pas le droit de faire telle ou telle chose et donc il y a des codes comme ça qui nourrissent beaucoup. J’aime bien faire des recherches en biais. Par exemple, sur un projet sur la musique au 18eme siècle où il y aurait des cartes, avec par exemple un violon que tu devrais emmener à réparer, et bien c’est là où j’aime bien penser de travers en me disant bon on est à une époque où on parle beaucoup de numérique, d’intelligence artificielle… ce serait cool au lieu de voir un violon abimé de voir les mains qui travaillent (du luthier par exemple), que les gens voient le plaisir qu’on peut avoir, arriver à mettre ça dans le jeu c’est ce qu’il me plait et que j’essaie de faire.

 

TGO : En ce qui concerne la réalisation, tu as toujours des références devant les yeux ou tu sais exactement où tu vas et tu es plus dans « un état de transe » sans référence ?

VD : Alors j’ai souvent un dossier sur mon ordi ou des fois j’ai certaines images que je mets à côté pour les retrouver. Ou j’imprime quelques trucs, mais j’en ai pas des tonnes. Il y a des choses qui sont acquises mais j’essaie de ne pas avoir de limites. Alors il y a des choses que je n’ai pas envie de faire (parce que ça ne me plait pas ou par conviction), mais par contre je veux pas avoir de limites techniques, c’est-à-dire que si je veux dessiner un truc que je ne sais pas dessiner, j’irais chercher toute la documentation nécessaire pour y arriver. Et puis maintenant avec internet il y a tout ce qu’il faut. Maintenant notamment je fais tous les décors en 3D dans sketchup ou en allant acheter des modèles sur internet pour le bon angle de vue, j’imprime ça et je redessine par-dessus, je bricole. On a des outils extraordinaires maintenant à notre disposition alors ça serait dommage de s’en priver et puis ça fait gagner du temps, temps que je consacre plus à une autre partie du projet ou à un autre projet.

 

 

TGO : Question par rapport au temps de réalisation, tu nous as parlé de 180 illustrations (pour le jeu Muséum), ça représente quelle charge de travail pour toi en terme de temps ?

VD : Oh, c’était long et c’était dur, je serais pas dire parce qu’on a fait ça par séquences en fait, le projet s’est étalé sur plus d’une année à peu près. De toute façon quand il y a une couverture de jeu, un plateau et des cartes je demande au moins 6 mois.

 

TGO : Quel est le jeu qui t’a le plus enthousiasmé à faire ? Même si je sais que c’est difficile à choisir, est-ce qu’il y en a un qui sort du lot ?

VD : Detective, City of Angels ; qui s’appelle Enquêtes à Los Angeles en français. Là je m’étais vraiment régalé parce qu’au sein même du jeu il y avait plein de choses différentes à faire et en fait j’avais eu une créativité totale. C’était assez spécial parce qu’en fait l’éditeur est aussi l’auteur des scénarios et au début il m’envoyait vraiment des prototypes avec des explications sur les scénarios, de qui était le tueur etc… j’avais tout le déroulé. J’avais fait un peu des crayonnés mais c’est vrai que les étapes prenaient pas mal de temps. Et puis un jour ce qu’il s’est passé c’est qu’il m’a envoyé le prototype des cartes mais sans m’expliquer le déroulé de l’énigme et tout, donc je pouvais deviner mais j’étais pas sûr, et du coup je me suis dit que j’allais l’illustrer comme ça pour faire ressentir l’incertitude dans mon travail. Alors j’avais 2-3 pistes comme j’avais toutes les cartes mais j’avais pas le fil rouge du truc. Et du coup en y allant comme ça au feeling, lui (l’éditeur) était hyper étonné et ravi en se disant « ah ouais je l’avais pas vu comme ça » et du coup on a continué la suite du jeu de cette manière. Et ce qui fait que je me suis vraiment régalé sur ce jeu, c’était un vrai bac à sable. Et ce qui a mené techniquement aussi à pouvoir ensuite développer Heat comme je l’ai développé aujourd’hui, ça a fait des branches dans tous les sens. A une époque d’ailleurs les éditeurs ne demandaient pas de crayonné, ils payaient pour un travail et se réservaient le droit de refuser, des faire des modifications, des retouches… et du coup ça m’allait très bien. Et donc glisser maintenant sur des crayonnés c’était finalement une part de contrôle, on veut voir comment ça avance. Donc sur les derniers projets sur lesquels j’ai travaillé, je l’ai fait sans crayonné car quand j’en envoie on me dit que tout va bien, du coup d’un côté ça me contraint et ça fige dans une certaine direction. Alors que des fois je peux avoir d’autres idées ou faire un crayonné pas top mais bien mis en couleur, je suis un peu freestyle. Des fois il peut y avoir des accidents, des trucs imprévus ou alors une couleur à laquelle je n’avais pas pensé, je l’essaie et paf ça marche. Donc j’essaie de me tenir à ça en discutant avec les éditeurs ou je dis par exemple il y a 60 cartes dans le jeu, je vous en fais 2 ou 3 finies au début et puis après on voit si on est ok ou pas. Et puis après ça marche comme ça.

Et d’ailleurs tout à l’heure quand tu parlais de Bruno (Cathala), j’ai une expérience unique dans le monde du jeu, c’était avec (Reiner) Knizia (l’auteur du jeu) sur Eldorado. Donc le jeu est sorti en 2017 chez Ravensburger et il se trouve que Knizia « saucissonne » ses licences et ne donne pas tous ses droits à un seul éditeur. C’est-à-dire que Ravensburger avait les droits d’Eldorado que pour un certain nombre de pays. Et comme Ravensburger n’a pas souhaité développer le jeu dans d’autres langues autour, Knizia était libre de faire ce qu’il voulait. Et donc là ce qui est étonnant c’est que c’est un auteur qui m’a contacté et qui m’a demandé de faire les illustrations pour son jeu pour une nouvelle édition, à partir de ses règles… et après à tous les 2 on a contacté les autres pays et depuis le jeu est distribué dans 15 nouvelles langues du coup ça a donné une nouvelle vie au jeu, à l’international. Au point que Ravensburger réutilise mes illustrations pour ressortir le jeu maintenant. Ce qui fait qu’à l’époque ça m’a fait un peu remettre en question ma manière de travailler puisque finalement je me retrouvais comme un prestataire total puisque finalement aucun de ces 15 éditeurs ne m’avait commandé ces illustrations, ils étaient libres de demander à quelqu’un d’autre mais en même temps après en avoir discuté avec Knizia au niveau contrat/rémunération… ce que je proposais à certains pays qui font des petits tirages (1000-2000 exemplaires) c’était beaucoup plus intéressant que de faire faire des illustrations à leur frais. Du coup c’était une façon un peu différente de faire les choses.

 

TGO : Est-ce qu’il y a un jeu sur lequel tu aurais aimé faire l’illustration ?

VD : Alors il y en a un je l’ai fait mais pas en entier, c’est Robinson Crusoé (de Portal Games) où ils l’ont sorti il y a des années et ils m’ont contacté pour faire la couverture de leur réédition mais j’ai pas fait l’intérieur et j’aurais bien aimé la faire !! C’est le genre de chose et de thème qui me plait bien. Parce qu’aussi au sein du jeu il y a plein de choses différentes à faire, des formats différents, des illustrations différentes…

 

 

TGO : Tu as des thèmes de prédilections d’ailleurs ?

VD : Je suis plus dans tout ce qui peut faire rêver les gens. Si tu me demandes un jeu sur le thème contemporain par exemple ça me casse un peu les pieds, c’est-à-dire qu’on baigne tellement dedans. L’approche pourrait être intéressante cependant. Pareil on m’avait proposé un jeu avec des cultivateurs et tout, s’il faut dessiner des tracteurs, c’est plutôt non ou alors je demande s’il n’y a pas moyen de dessiner un autre truc genre des cultivateurs sur Mars. Mais sinon je vais plus vers l’aventure, le fantastique, la science-fiction ou des choses un peu plus documentées, des docus-fiction ; et que ce soit original, que ce ne soit pas juste un jeu proche de nous. Par exemple, quand j’avais fait un jeu sur New York, c’était compliqué parce qu’il y avait beaucoup d’images, beaucoup de choses d’époques donc c’est difficile d’interpréter. Du coup j’essaie toujours de faire des choses réalistes mais surtout crédibles. Par exemple, je pense que si un spécialiste des voitures de courses regarde Heat il va dire que ça ne va pas du tout. Mais de mon côté pour les besoins de l’illustration, de la narration, je déforme, j’arrange. Ce que je veux c’est que les personnes qui y jouent puissent y croire, aimeraient être à la place du pilote et puis après si c’est tout faux autour bon il y a toujours des gens qui ne sont pas contents voilà mais c’est pas le but en fait. C’est toujours placer le curseur à la manière de. C’est souvent d’ailleurs à mon sens le défaut des jeux un peu historiques, documentés, c’est qu’ils ont voulu aller trop dans le documenté et du coup ça étouffe un peu.

 

TGO : D’ailleurs, de cette année, en tant que joueur, est ce qu’il y a un jeu qui ressort du lot, qui t’a mis une claque en tant que joueur ?

VD : Bah là le problème c’est à cause des histoires de Covid et tout j’ai pas beaucoup joué en fait. Avant en Corée je jouais tous les vendredis soir avec les auteurs de jeu coréen et le covid nous a mis une bonne claque. Donc j’ai plus joué à mes jeux finalement comme je les reçois (rire). Mais sinon il y a eu les Ruines de Narak (de chez Iello) qui m’a bien plu, c’est assez touffu, il y a pas mal de choses et j’ai trouvé le jeu assez complet. On a l’impression à la fin d’avoir construit un truc et puis c’est plutôt joli et assez immersif.

 

TGO : On a parlé de ton parcours et notamment de tes études à l’école Emile Cohl, est ce que tu pourrais nous en parler un peu plus ?

VD : C’est une école qui a grandi et fusionné. C’est une école d’arts appliqués, j’y suis allé après le bac, et à l’époque on faisait 40h de dessin par semaine et il fallait faire à peu près la même chose chez soi donc je ne faisais que ça, c’était assez intensif. A l’époque (de 1994 à 1997) on ne pouvait faire que 3 ans. Et souvent c’était des cours de 8h, c’est-à-dire que tu arrives le matin, tu découvres le thème, tu rends ton travail à 18h le soir et tu es noté le soir, avec un résultat immédiat, ce qui va et ce qui ne va pas. Et puis tu remettais ça la semaine suivante. Mais c’était dur comme rythme et en même temps ça m’a permis d’apprendre en accéléré, que ce soit sur l’anatomie, l’étude documentaire, c’est fait pour ça. C’est l’avantage de ça. Moi d’ailleurs après l’école je me suis dit est ce que je poursuis des études dans d’autres écoles avec des formations et tout et puis les profs avec lesquels je m’entendais très bien et qui sont ensuite devenus des collègues m’ont dit « bosses, tu te prendras des portes au départ ce sera difficile » mais j’ai commencé à travailler à 21 ans donc du coup tu apprends aussi sur le tas.

Et ensuite quand j’enseignais (il a été étudiant et prof dans cette école), je m’occupais principalement de ceux qui passaient leur diplôme de fin d’étude. J’y allais 2 jours une fois par mois et du coup pendant 8h ils me montraient leur travail et on en discutait, j’essayais d’apporter le maximum pour les aider.

 

TGO : Ton style vient de là, de ce que tu as appris dans cette école, ça en découle ou au contraire ça t’a donné des bases et tu t’es forgé seul ensuite ?

VD : Je n’en serais pas là si je n’étais pas passé par Emile Cohl c’est sûr, déjà pour l’ouverture d’esprit. Et puis à l’école les profs étaient tous des professionnels c’est des gens qui viennent de partout en France, pour un cours de 8h ou 2 jours et qui viennent t’apporter leur expérience professionnelle donc tu es confronté très tôt à une vision professionnelle du métier. Et souvent c’est difficile car on n’est pas prêt à entendre ça, quand t’es étudiant c’est magique et puis t’en as qui passe en disant « ah c’est pas inintéressant. » Ce qui remet ton travail finalement en perspective.

 

TGO : Et est-ce que vous aviez des « cours » sur la façon d’aborder des éditeurs… sur se vendre ?

VD : A mon époque pas trop, maintenant je pense un peu plus justement. Parce qu’à l’époque il me semble que presque 100% des étudiants qui sortaient avaient un boulot dans le métier de l’image. Mais ça s’est compliqué parce qu’on peut apprendre à présenter un book, un portfolio, à se présenter, mais après c’est difficile parce qu’on peut pas uniformiser une parole. Je le faisais pas mal quand j’étais avec des étudiants qui passaient leur diplôme. Des fois ça leur mettait un coup au moral parce que je leur disais que c’est très facile de trouver du travail en sortant de l’école mais ce sera beaucoup plus difficile d’être toujours là dans 10 ans. Parce que quand tu sors de l’école tu es tout frais, il y a plein d’éditeurs qui sont contents de trouver des jeunes qui sont pas mal, qui ne coutent pas trop cher… Si tu es malin en plus tu peux arriver à faire quelque chose, mais arriver à construire quelque chose à tenir sur la durée, à développer son truc et se distinguer des autres quand tu es noyé dans la masse, c’est difficile. Et puis c’est pas un métier qui est carriériste, c’est-à-dire que tu es tout de suite ton patron donc après faut arriver à construire son truc pour atteindre des projets de plus en plus intéressants, des éditeurs à plus grande diffusion parce que mine de rien après tu arrives à négocier des droits d’auteurs sur des jeux ou sur les livres, ça fait des revenus qui peuvent rentrer sur les années suivantes… En plus tu dois faire tous les boulots en même temps, l’illustrateur, le commercial, le patron, la comptabilité…

 

TGO : L’interview touche à sa fin, ce fut un réel plaisir et honneur d’avoir pu partager ce temps avec toi. Est-ce que tu aurais un dernier mot, une dernière chose à partager ?

VD : On parlait tout à l’heure d’une liste de livre ou de recueils qui pourraient être utiles et je voulais aussi parler d’une mentalité, c’est de se dire que mon truc c’est transmettre et partager. Et paradoxalement je me dis que des images, je les fais d’une certaine façon mais si je les faisais pour moi je les ferais différemment, mais mon idée c’est vraiment de partager et de transmettre quelque chose. Et puis il n’y a pas de mystère, c’est vraiment qu’il faut bosser, c’est du travail, du travail, du travail, se nourrir de tout. Je m’inquiète un peu aujourd’hui de voir les jeunes avec 2 cerveaux, l’un avec téléphone et l’autre sans. Et j’avais fait un petit piège quand j’étais professeur à Emile Cohl, je leur parlais d’illustrations, d’auteurs, d’artistes donc ils apprenaient (par ce que les étudiants sont des éponges à informations). Et la fois d’après je revenais les voir et je leur disais « l’illustrateur que vous aviez beaucoup aimé, vous vous souvenez de son nom ? » et puis tout le monde se regardait et il y en a un qui avait dit « mais il est là » en montrant son bookmark, c’est-à-dire qu’il savait où était le raccourci mais ne se souvenait plus de son nom, du coup c’est dommage. Mais en même temps les élèves peuvent être plus réactifs sur certaines choses comme ils réfléchissent plus vite que nous, tu penses plus vite, plus court. Il faut prendre ce qu’il y a à prendre et y’a du bon et du moins bon.

Et notamment tout le buzz qu’il peut y avoir sur les IA qui débarquent, moi je pense qu’il faut laisser voir comment ça va évoluer pour après, pourquoi pas s’en emparer. D’un côté ça me fait peur aussi parce que c’est un moyen de produire plus vite, par exemple un éditeur pourrait me demander de faire la couverture d’un jeu et faire faire les 120 cartes par exemple à une IA. Mais d’un autre côté peut être que mon travail aura pris de la valeur parce qu’on sera peut-être moins à faire cela à l’avenir. Après si un éditeur préfère une IA plutôt que moi pour des histories de rentabilité et rapidité c’est la vie. Mais par contre ça donnera accès à une base de données et de documentation quasi-parfaite donc ça pourra aussi peut être me faire gagner du temps sur les recherches… Faut être hyper ouvert du coup. J’essaie de voir comment m’adapter et évoluer. Mais j’ai toujours fait cela, j’ai vécu à l’étranger plus qu’en France dans ma vie d’adulte, le numérique est arrivé, il y a fallu voir comment l’intégrer ou s’en inspirer…

Mais en tout cas si j’avais un message à faire passer aux jeunes, je leur dirais qu’il ne faut pas qu’ils aient peur, qu’ils se disent que l’illustration va plus loin qu’un outil, c’est plus que cela. De se demander comment intégrer tous ces changements dans mon travail. Comment transmettre par l’illustration.

 

Et c’est sur ces belles paroles que se termine cet entretien au combien fascinant et instructif. Cela conclut de la plus belle des manières un entretien génial avec une personne qui l’est tout autant. Encore merci Vincent Dutrait pour le temps que vous nous avez accordé. Et un grand merci à vous de nous lire, on espère pouvoir vous proposer encore davantage de retour de personnalités du monde du jeu à l’avenir ! 

 

La team Gameovert

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